Boycott : les boucs émissaires de la frustration sociale

Boycott : les boucs émissaires de la frustration sociale

 

- Les marques Sidi Ali, Centrale et Afriquia font l’objet d’une campagne de boycott depuis maintenant 20 jours.

- Si la crise perdure, des milliers d'emplois seront menacés.

 

 

C’est sur les réseaux sociaux que la campagne de boycott visant les marques Centrale (Centrale Danone), Afriquia (Groupe Akwa) et Sidi Ali, distribuée par Eaux minérales d’Oulmès (Groupe Holmarcom) a pris source, le 20 avril dernier, et c’est de là qu’elle continue à s’abreuver. A ses débuts, anodine, visiblement minimisée par le management des marques ciblées et ignorée par la presse, elle a finalement pris de l’ampleur. Contrairement aux nombreux mouvements de contestation qui naissent sur la toile et qui durent le temps d’une rose, celle-ci a réussi à survivre pour quitter le monde virtuel et finalement s’inviter dans le monde réel. Le réel, ce sont les conséquences économiques d’un tel boycott sur ces entreprises. Surtout, s’il est appelé à perdurer.

L’affaire a pris une telle ampleur que ce sujet est aujourd’hui abordé avec une extrême prudence. Car pour peu que l’on désapprouve cette campagne de boycott, on se fait allumer, insulter et traiter de tous les noms d’oiseaux sur les réseaux sociaux. Doit-on se rallier à une «cause» même si l’on n'y croit pas ? Ne doit-on pas avoir une opinion autre que celle de la masse contestataire ?

Le jeu démocratique puise justement ses racines dans le respect de la pluralité des opinions. Et l’intelligence sociale nous autorise à faire preuve de discernement, d’avoir du recul et de faire une lecture objective de toute situation, quelle que soit sa dimension politique, économique et/sociale, pour se forger une opinion et pouvoir ensuite décider librement.

Aujourd’hui, force est de constater qu’il est difficile pour un citoyen lambda d’argumenter objectivement les raisons pour lesquelles il boycotte ces trois marques. De considérations purement politiques à celles d’ordre économique (cherté des produits, pouvoir d’achat des Marocains…), en passant par ce que ces entreprises pointées du doigt représentent ou ce qu’incarnent leurs dirigeants, tout y passe. C’est une sorte de pot-au-feu où tout le monde met dans la cocotte-minute son grain de sel, ses frustrations et ses ressentiments.

Doit-on faire porter les maux du Maroc à Sidi Ali, Danone, Afriquia ou à n’importe quel autre groupe qui opère dans ce pays ? Doit-on en faire les boucs émissaires de la frustration sociale ? A l’évidence non, car celle-ci doit plutôt être liée aux systèmes éducatif et de santé défaillants, à la cherté des produits de première nécessité en cette veille du mois sacré de Ramadan…

Doit-on aussi faire fi de leur poids dans l’économie du Royaume ? Bien évidemment que non.

 

Menaces sur l’emploi

Arrêtons-nous donc sur quelques chiffres. Le Groupe Akwa (Afriquia), ce sont 4.000 collaborateurs, selon les chiffres disponibles sur le site Internet du Groupe. Pour sa part, rien que la société Eaux minérales d’Oulmès emploie environ 2.010 personnes et génère quasiment 7.900 emplois indirects, soit un total de près de 10.000 personnes.

Centrale Danone, qui emploie pas moins de 6.500 salariés, explique de son côté qu’il anime un écosystème agricole composé de 120.000 éleveurs, représentant 600.000 personnes dans le monde rural. Et selon les statistiques disponibles sur le site du ministère de l’Agriculture, le secteur du lait permet la création de 460.000 emplois permanents pour un chiffre d’affaires de 8 Mds de DH par an. Et l’amont du secteur compte 400.000 exploitations laitières, dont 100.000 producteurs saisonniers. Avec ce boycott, c’est toute la filière qui est menacée.

Dans un pays où le taux de chômage est de 10,5%, ce n’est pas l’Etat qui peut trouver de l’emploi à tous ces jeunes qui veulent accéder à une activité professionnelle. Bien au contraire, le privé est le socle sur lequel s’appuie justement le gouvernement pour créer des emplois et donner l’espoir d’une vie meilleure à tous ces jeunes marocains.

Tenter de mettre ces entreprises à genou, c’est donc non seulement annihiler les opportunités qu’elles peuvent offrir en termes d’emploi, mais également faire peser le spectre du chômage et la perte de revenus sur les milliers de personnes qui y sont employées et sur tout l’écosystème qui gravite autour de ces groupes.

Ce n’est certainement pas ce que nous voulons. Ce n’est certainement pas ce que le Maroc d’aujourd’hui peut se permettre. Ce n’est pas, aussi, l’image qu’il faut donner du Royaume.

Gardons-nous donc d’ouvrir la boîte de Pandore. Car après Sidi Ali, Danone et Afriquia, quelles entreprises seront à leur tour inscrites sur cette «liste noire» ?

Voir des entreprises marocaines grandir, créer de la richesse, payer des impôts, contribuer à l’essor du pays, s’exporter à l’international et être, en quelque sorte, des ambassadrices du Royaume, devrait être une fierté pour l’ensemble des Marocains.

Et quoi qu’on en dise, les Groupes Akwa et Holmarcom, en particulier, ont des symboles de réussite pour le Maroc. Comme le sont d’autres grands groupes du pays. Comme le sont toutes ces TPE et PME qui, au quotidien, se battent pour survivre et participer au développement économique du Royaume. A défaut de les soutenir, ne leur savonnons donc pas la route ! ■

 

 


Tir groupé sur Aziz Akhannouch

Aziz Akhannouch, à lui seul, semble cristalliser toute cette contestation sociale. Le patron du Groupe Akwa et ministre de l’Agriculture fait en effet les frais d’un lynchage sur les réseaux sociaux sans précédent. Est-ce le businessman qui dérange ou l’homme politique ? Serait-ce les deux ? Ou Afriquia a-t-il plutôt servi de prétexte pour atteindre politiquement Akhannoukh et, à travers lui, son parti, le Rassemblement national des indépendants (RNI) ?

A l’évidence, il ne pourra sortir indemne de cette cabale. Le RNI non plus. Un coup d’arrêt pour ce parti de la majorité en pleine ascension et qui, au gouvernement, a incontestablement réussi à éclipser les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD).

Tout cela augure bien évidemment une redistribution des cartes, avec à la clé une reconfiguration probable de la géographie du microcosme politique. Au profit de qui ?

Des «Pdjistes» très divisés qui n’arrivent pas à faire bloc autour de leur secrétaire général et chef de gouvernement, Saad Eddine El Othmani ? Du Parti authenticité et modernité (PAM) qui a perdu de sa superbe ? De l’Union socialiste des forces populaires (USFP), devenu quasiment un parti fantôme incapable de mobiliser les foules ? Ou plutôt de la maison istiqlalienne désormais dirigée par Nizar Baraka ?

L’avenir le dira. Si d’aucuns mettent déjà Baraka en selle, la realpolitik marocaine nous renseigne néanmoins sur une chose : le vent politique tourne très vite et le favori d’aujourd’hui peut, demain, se retrouver outsider, voire le «tocard» que tout le monde va montrer du doigt. ■

 


Le management des Eaux Minérales d’Oulmès réagit

La direction de la société a réagi, hier, mercredi, à la campagne de boycott qui cible sa marque Sidi Ali. «Face à l’ampleur de ce mouvement, nous avons souhaité prendre le temps d’écouter et d’analyser, avec la mesure et le recul nécessaires, les attentes de nos concitoyens et en particulier des fidèles consommateurs de Sidi Ali, qui nous font confiance de génération en génération», souligne-t-elle dans un communiqué, se disant également préoccupée par la problématique du pouvoir d’achat des ménages marocains.

«C’est pourquoi nous avons pris la décision de ne pas augmenter nos prix de vente publics depuis 2010, sur l’intégralité des formats Sidi Ali, et ce malgré l’inflation régulière qu’a connue le Maroc et l’augmentation de l’ensemble de nos postes de coûts : matières premières, énergie, salaires, taxes…», note le communiqué.

La direction rappelle aussi que «les bouteilles d’eau Sidi Ali 1,5 l sont en vente au grand public depuis 2010, selon des prix recommandés, à savoir à partir de 5 dh en grande surface et à partir de 5,50 dh chez le détaillant, et que ce tarif peut librement évoluer en fonction des points de vente, dans la mesure où la loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence permet aux points de vente de fixer eux-mêmes le prix de vente final». Elle précise aussi que «l’eau exploitée n’est pas gratuite, mais assujettie à des taxes d’exploitation très importantes».

Ainsi, «pour l’année 2017, les Eaux Minérales d’Oulmès s’est acquittée de 657.072.912 dh d’impôts et taxes (TVA, redevance d’exploitation de la source, Taxe intérieure de consommation, écotaxe, frais de marquage fiscal et divers autres impôts et taxes), soit une augmentation de 9,8% par rapport à 2016». De même, «pour la seule taxe communale payée par la société à la Commune d’Oulmès, elle s’est élevée en 2017 à 99.056.958 dh. La redevance d’exploitation des sources due à l’Etat en 2017 a été de 48.288.916 dh».

«En plus de ces impôts et taxes, le prix de vente de Sidi Ali comprend les coûts de distribution et marges détaillants, les matières premières et consommables, la charge de transport, logistique, amortissements des équipements, les diverses autres charges externes

ainsi que les charges du personnel», explique la direction, relevant que «la marge réalisée sur Sidi Ali est de 7%, soit 40 centimes par bouteille d’1,5l».

Tout en soulignant que la société génère pratiquement 10.000 emplois (2.010 employés en 2017 et 7.900 emplois indirects), la direction indique qu’elle «s’engage à oeuvrer auprès des pouvoirs publics à la révision à la baisse des prix par la réduction des taxes imposées sur les eaux minérales et de sources». Elle prône ainsi «une T.V.A. réduite à 7% (au lieu de 20%)».

 

 

Par F. Ouriaghli

 

 

 

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