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Malika Agueznay: un hommage à la femme arabe et amazighe

Malika Agueznay: un hommage à la femme arabe et amazighe

La grande plasticienne marocaine, Malika Agueznay, fera partie d’une liste d’artistes femmes arabes dont la monographie sort en 2024. Un hommage du musée national de Dubaï largement mérité pour une grande figure de la peinture marocaine, qui totalise plus d’un demi-siècle de création. Portrait.

 

Par Abdelhak Najib, Écrivain et critique d’art

Cet hommage à une grande dame marocaine est un hommage à toutes les femmes qui dédient leurs vies à leur passion. C’est un hommage à la persévérance et à la rigueur de l’artiste face à lui-même. C’est aussi un hommage à l’histoire d’un mot. L’histoire simple d’une esquisse de poème qu’il faudra poursuivre dans le creux de la toile, au milieu de cette féria de couleurs et de formes qui célèbrent ici leurs noces. C’est aussi un hymne à la simplicité du vécu dans ce qu’il a de plus élevé. C’est surtout un chant auroral pour célébrer le souffle de vie qui nous traverse et nous anime. 

Dans la peinture de Malika Agueznay, la flore est une phrase déchiquetée sur les rives de la toile. Des bribes de syllabes creusées en filigrane et qu’il faut embrasser du regard en parcourant les limites incertaines de l’œuvre. Chez Malika Agueznay, le mot tient office de clé de lecture, de sésame pour pénétrer cet univers imaginaire particulier. Il est au début et à la fin d’une séquence picturale qui est en fait une charnière. Le mot absent, le mot à trouver, le mot à inventer, à réinventer. Chacun peut y mettre l’ampleur de ses émotions, la quintessence de son vécu. Chacun peut y lire un avenir, un passé, une nostalgie, une promesse. Le peintre laisse au gré des formes sillonner en une liberté jamais circonscrite l’espace indéfini de la toile.

Un électron libre, le noyau d’un schéma toujours à venir. «Le mot occupe une très grande place dans mon travail. Ce n’est pas l’écriture ni la calligraphie. Je précise, il s’agit du mot porteur de multiples sens. Le mot qui résume une idée, une pensée et peut aussi donner corps au rêve et à l’espoir. C’est cela le mot que je tente d’incarner sur la toile. Un mot qui parfois nous dépasse par sa force et par tout le poids humain qu’il nous ramène avec lui», précise Malika Agueznay.  

Cette tendance au caché emprunte son procédé à l’alchimie et sa symbolique à l’ésotérisme. A la fois initiation à la lecture de la peinture comme texte et à une approche de la poésie comme signe, la peinture de Malika Agueznay est une réelle mise en abîme des genres. Une confrontation autant qu’une concordance de plusieurs types d’expressions qui, conjointement, participent d’un sens toujours à redéfinir. «Il ne s’agit pas pour moi de dire des choses. Le peintre ne dit pas. Il peint. Tout est nuance. Tout est dans la forme et dans la couleur. Il y a  certes ma vie, mes pensées, mes émotions, mes sensations, mais au-delà, il y a ce je ne sais quoi qui va au-delà du dire et qui est juste un sentiment, une émotion qui vous prend et qui vous pénètre. C’est cela pour moi la véritable expression de l’art», résume le peintre. En effet, cette visibilité de lumière donnée au sentiment est plus forte quand elle est ancrée par la force de la nuance.

L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible, aimait à dire Paul Klee. C’est justement cette visibilité qui va du cœur au cœur qui nous touche, parce qu’elle nous traverse comme un astre qui ne meurt jamais.  Chez Malika Agueznay, il y a ce mouvement giratoire qui devient, avec le coloris, une part du travail sur la forme. Signes et significations sont pris ici dans une acception toute avant-gardiste. A la fois héritage ancien, attachement à la textualité de la peinture et creusement de sillons pour ne pas limiter le champ de la toile. Les choix du peintre sont d’une simplicité profonde. Les couleurs ne vont jamais chercher dans l’éclat factice pour briller. Au contraire, c’est dans leur nuance, dans leur pouvoir de suggestion que réside leur signifiance. De là naissent plusieurs lectures probables entre ce qui est donné à voir, ce qui se voit et ce qui reste à découvrir. La surprise naît quand le temps passe et que soudain le tableau livre une part de son secret. C’est cette vie, après coup, qui fait de la peinture de Malika Agueznay l’une des plus ingénieuses et des plus proches du temps. Le temps dans sa spatialité comme mesure de ce qui advient toujours.

«Il est vrai que quand je regarde mon travail des années après, je le perçois autrement. Certes, les images premières restent toujours rattachées au travail, mais il y a l’empreinte du temps qui vient apporter une nouvelle dimension de lecture. J’ai souvent l’impression que mes œuvres vivent au-delà du temps et continuent de grandir et de se nourrir de la vie, même quand je ne les touche plus. Je leur laisse cette part de mystère qui est inqualifiable», dit-elle. Une dimension mystique  qui, au-delà des formes et des signes, rapproche cette peinture de l’art musulman persan et asiatique. Autant la forme, les lignes, le tracé nous renvoient tous à cette haute symbolique religieuse. «L’art est une forme de religiosité. C’est de là qu’il tire toute sa force. C’est une connexion à l’âme du monde et c’est cette relation au sacré qui me bouleverse au plus haut point».

Le sens du caché, celui du nondit, mais uniquement suggéré, la quête de la révélation, autant de thématiques picturales qui donnent à ce travail une valeur quasi scientifique. Sans oublier que pour l’artiste, tout ceci n’est qu’amour, ce message premier dit, premier venu. Pablo Picasso avait coutume de dire aux amis proches  : «Il y a des êtres qui font d’un soleil une simple tache jaune,  mais il y en a aussi qui font d’une simple tache jaune, un véritable soleil». Malika Agueznay, à chaque fois qu’elle entame une œuvre, on peut être sûr que la lumière y est déjà présente. Ses blancs ancrés dans leur blancheur sont une revendication de cette pureté primale. George Bernard Shaw avait raison de dire que «l’art est un miroir magique que nous créons pour  transformer les rêves invisibles en images visibles». 

En effet,  le peintre ici a cette capacité qui est aussi un réel souci de simplicité de rendre un espace monochrome  une source d’irradiation. Une source vive où chacun de nous peut puiser une lumière folle. Bref, face au travail de cette artiste habitée par le don de soi, nous sommes sommés de croire avec William Blake que «l’art est la vie, la vie c’est l’art». Amour. Tout est amour Dans tout ce travail qui s’étale sur une vie de recherches et de rencontres, de questionnements et de débuts de réponse, la force d’aimer est ici souveraine.

«J’ai beaucoup travaillé  sur l’amour parce qu’il est la vie. L’amour fait de nous des êtres à part, touchés par ce souffle divin qui nous élève. L’amour est un appel à devenir meilleur, à chaque instant de notre vie. C’est de cette constance que j’essaie de m’approcher chaque jour, à chaque moment. Ce souffle de vie est amour et c’est notre miracle. Il nous faut aimer. Donner, offrir. Et l’art est une des formes suprêmes d’aimer et de donner», explique Malika Agueznay.  Ce mot «Amour» est un leitmotiv. Il devient le centre même de cette peinture. Décliné dans toutes les formes, présenté sous des couleurs différentes, animé par des lumières et des ombrages variés, l’amour gagne à chaque trait plus de force et revendique du même coup, toute sa place au sein de cet univers. James Joyce disait  : «Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d’art,  c’est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir».

C’est exactement cela qui nous frappe devant ce mot répété si souvent, sans jamais perdre de sa puissance. Au contraire, l’amour est si senti en profondeur que chaque fois qu’il est décliné en couleur et en forme, à chaque fois qu’il est gravé pour l’éternité, il nous renvoie à notre essence qui n’est que passion et désir. Passion de vivre. Désir d’aller encore plus loin, plus profondément en soi pour faire jaillir ce geyser qui est synonyme de vibrations, de vivacité, d’éclat suprême pour chanter la beauté de vivre et d’aimer. Cela fait écho à cette phrase si célèbre d’Anatole France  : «En art comme en amour, l’instinct suffit». Cet instinct qui va de l’être à l’univers pour célébrer l’Un. Cette unité du monde qui prend racine chez l’artiste pour peu qu’il devienne cette ouverture à tout ce qui vit. «Faites que votre tableau soit toujours une ouverture au monde», disait Léonard de Vinci. 

 

 

 

 

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