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«La dernière guerre du soldat inconnu» : errances et déshérences de l’Arabie heureuse

«La dernière guerre du soldat inconnu» : errances et déshérences de l’Arabie heureuse

L’écrivain et journaliste, Abdelhak Najib, vient de publier un nouveau roman qui fustige les États arabes et leurs anachronismes, entre fausse modernité et décalage avec l’Histoire. Un roman mordant et cinglant qui traite également de la malédiction du pétrole et du gaz dans certaines républiques bananières qui sont obsédées par la guerre et qui voient des complots fomentés partout et par tout le monde.

Pourquoi un roman sur la déshérence de certains États arabes et pourquoi maintenant ?

Abdelhak Najib : Ce n’est pas mon premier roman sur cette question des errances caractérisées de plusieurs États dans cette malheureuse Arabie. Déjà dans «Le printemps des feuilles qui tombent», j’avais montré à quel point les Arabes ont raté encore un rendez-vous avec l’Histoire, après ces faux printemps qui sont des hivers gelés accouchant de chaos et de conflits fratricides interminables. Avec «La dernière guerre du soldat inconnu», je me penche sur les folies de certains États arabes qui n’ont jamais appris de l’Histoire et qui versent dans l’aveuglement tous azimuts et à tous les étages de la vie politique, sociale et culturelle. Fausse modernité, archaïsmes qui ont la peau dure, corruption, gabegie, répression oppression, surarmement, despotisme, tyrannie, le tout facilité par la manne du pétrole et du gaz, avec des rentes annuelles se chiffrant à des centaines de milliards de dollars, avec des pays sous-développés, avec des populations qui ne pensent qu’à fuir et quitter le territoire. Prenez un État, aujourd’hui plongé dans le chaos, comme la Libye. Ce pays doit avoir un niveau de vie meilleur qu’en Suède, en Norvège et en Suisse. Sous Kadhafi, la dictature de l’État a dépensé des centaines de milliards de dollars dans des armes qui ont rouillé dans le désert. Après Kadhafi, c’est le chaos généralisé.

Ceci nous amène à l’invasion de Gaza par l’armée israélienne et à la démission de la majorités des pays arabes, qui regardent, impuissants, la liquidation totale d’une partie de ce peuple arabe livré à lui-même. C’est là le point culminant de cette déshérence de plusieurs États dans cette Arabie en déclin, malgré tous les effets de manche et les slogans racoleurs et mensongers. Ce dont d’ailleurs ces États arabes qui portent la responsabilité de la fin de l’Etat palestinien. 

C’est le cas de l’Algérie aussi. Car, à lire votre roman, on comprend qu’il s’agit surtout de la junte militaire aux commandes à Alger ?

Vous avez raison. L’Algérie incarne aujourd’hui la caricature de la république bananière au bord du gouffre. Des milliards de dollars de devises grâce au gaz, avec un régime totalitaire, avec des militaires corrompus qui tiennent les populations sous leur joug implacable, un président qui donne de sérieux signes d’instabilité mentale et psychique, des citoyens livrés à eux-mêmes, une jeunesse qui ne rêve que de quitter le pays pour l’Europe, qui, elle-même, traverse l’une de ses pires crises, des visées hégémonistes et belliqueuses, des bruits de bottes, des menaces de déclenchement de guerre régionale, avec le voisin marocain, la manipulation, l’instrumentalisation de la religion, du terrorisme, des mouvances dissidentes, des trafics dans la région du Sahel… Bref, cette république bananière dont traite le roman apparaît dans toute cette cruauté et tout son horreur. Évidemment, dans le roman, il y a beaucoup de dérision, d’ironie, de sarcasme, de cynisme, à dessein, pour montrer à quel point ce type de pays se fourvoie. Alors que l’Algérie, comme la Libye, à titre d’exemple, peuvent être deux des pays les plus prospères au monde grâce à leurs mannes naturelles et aux richesses de leur sous-sol. Pourtant, la Libye est finie et l’Algérie avance à pas certains vers l’implosion. Quant à la Tunisie, ce n’est plus qu’une province vassale d’Alger, sans parler des pays du Sahel, exploités et maintenus sous perfusion par la France et sa politique désastreuse et colonialiste, qui a toujours droit de cité. On peut étendre cette vision à l’Égypte, qui vit dans l’instabilité. Aux pays du Golfe, qui sont construits sur presque du vide. Et ce ne sont certainement pas les gratte-ciel et les autoroutes qui vont sauver ces régimes, mais de véritables politiques sociales, une réelle lutte contre la pauvreté et la précarité, un partage équitable des richesses, une ouverture autre sur le monde, de la culture, une véritable démocratie qui soit née des réalités de ces pays, avec une place de choix pour les citoyens, et surtout pour les femmes et les enfants. Bref, être à la hauteur de cette fausse modernité en trompe-l’œil.


Certains peuvent vous reprocher de juger les autres États alors que le Maroc a aussi son lot de choses qui ne vont pas ?
Absolument. Mais j’ai déjà traité le Maroc, en toute objectivité, dans plusieurs de mes livres. «Maroc, de quoi avons-nous peur ?» (collectif), «Maroc, ainsi soit-il», dans «Les territoires de Dieu», dans «Le labyrinthe de l’archange», dans mes essais de philosophie comme «La dignité du présent» ou encore «Schizophrénies marocaines» ou «Chroniques d’un monde fou». Je traite de mon pays, tous les jours dans mes chroniques publiées dans plusieurs journaux marocains, je traite chaque semaine un dossier sur l’un des sujets brûlants de notre actualité en pointant du doigt ce qui me semble aller très mal, ce qui doit être rectifié, en parlant des urgences nationales, en levant le voile sur certaines dérives, en ciblant des ratages et des approximations. Mais, on ne peut en aucun cas comparer le Maroc aux autres pays arabes. Il n’y a là aucune commune mesure. Le Maroc, depuis 20 ans, fait des bonds de géant pour le développement et le progrès, et ce dans tous les domaines. Il faut être aveugle ou de mauvaise foi ou défaitiste doublé du pire des négationniste pour ne pas voir tout ce qui a été réalisé au Maroc durant le règne de Mohammed VI. Le Maroc doit servir d’exemple à tous les pays de la région et même à des pays européens comme la France, qui tire la langue et qui montre des défaillances à tous les étages. D’où le torchon qui brûle entre Rabat et Paris. D’où le jeu vicieux de la France qui cherche par tous les moyens à stopper l’essor du Maroc et surtout sa forte présence en Afrique, ancien pré-carré de Paris, avec sa très douteuse politique dite Françafrique. Pour dire les choses simplement : je suis d’abord journaliste depuis trois décennies. Je suis de cette race de journalistes qui applaudissent quand ça va bien et qui attirent l’attention sur ce qui doit être fait. Je ne vais pas critiquer le Maroc juste parce que ça fait branché de critiquer son pays jouant le jeu de forces étrangères qui manipulent tout ce monde et veulent fragiliser la stabilité de l’unique pays arabe que les Occidentaux n’ont pas réussi à atteindre. Je ne mange pas de ce pain-là. Et jamais je ne vendrai mon pays pour n’importe quel intérêt quelle qu’en soit la nature. D’où mon refus de publier mes livres en France, par exemple. Être lu par les Marocains n’a pas de prix ni d’équivalent. Et c’est ce qui m’importe le plus.

Le roman est aussi un terrible réquisitoire contre la dictature et le militarisme.

C’est le point nodal de ce roman. Merci de le mettre en exergue. Et ce réquisitoire ne concerne pas uniquement les pays arabes, toujours à la traîne, mais toutes les dictatures de ce monde et il y en a tellement déguisées en fausses démocraties donnant des leçons aux autres alors qu’ils enfreignent des lois, font fi des droits de l’Homme, torturent, mettent au pilori, condamnent injustement, font de graves bavures, envahissent des États souverains, les exploitent et les laissent plongés dans le chaos. Je suis antimilitariste convaincu. Je suis contre la guerre. Je suis contre les injustices. Je suis contre la répression. Je suis contre l’instrumentalisation de la religion à des fins politiciennes. Je suis contre les discriminations de tous genres. Je suis contre l’instrumentalisation des masses. C’est dans ce sens que je force les traits des paranoïas de certains États arabes qui voient des révolutionnaires à tous les coins de rue et qui veulent écraser les populations sous leur rouleau compresseur. Vous savez, d’autres auteurs ont traité de ces folies arabes et de la malédiction de l’or noir. Je peux citer le magnifique Abdul Rahman Mounif, le magique Albert Cossery ou encore l’universel Ibrahim Al Kouni. Il y a une véritable malédiction, nourrie à tous les obscurantismes, dans de nombreux pays arabes qui n’ont rien compris à l’Histoire et à ce nouveau monde qui est en train de prendre corps devant nous, vivant en 2024 et agissant comme au Moyen-âge. C’est l’heure de l’éveil. C’est le temps des grands changements pour ces États arabes qui doivent revoir toutes leurs cartes pour être en phase avec cette modernité tant criée sur les toits. Rater encore ce rendez-vous, c’est nier l’avenir, leur propre avenir. Et cela sera fatal.

 

Entretien réalisé 
Par Imane Kendili 

 

 

 

 

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